Le Mercure François – « De la nouvelle fraternité […], appelée de la Rose-Croix »
Le Mercure François est considéré comme l’ancêtre des gazettes historiques et politiques françaises. Publié par les imprimeurs-libraires Jean et Estienne Richer, le premier voit le jour en 1611. Sa préface précise que la vocation du Mercure est de rapporter tous les faits historiques, religieux ou politiques et de relater aux lecteurs les « choses remarquables » venant « des quatre parties du monde », d’où cette référence à Mercure, antique messager aux casque et pieds ailés. Ces éditions, réparties en vingt-cinq volumes, couvrent une période allant de 1605 à 1643, et demeurent une source d’information précieuse pour les historiens.
Dans le cadre de ce document d’archives, nous avons choisi de vous présenter le neuvième tome du Mercure François, édité en 1624, dont un exemplaire est conservé au sein de la bibliothèque de l’A.M.O.R.C. L’inscription en marge de l’ouvrage « de la nouvelle fraternité prétendue, appelée de la Rose-Croix ou des Invisibles », page 371, annonce notre sujet. Ce tome en effet, raconte le célèbre épisode des affiches rosicruciennes placardées à Paris en 1623, et l’agitation qui devait en résulter.
Le lecteur ne sera pas surpris que l’article du Mercure François soit hostile à la Fraternité. En effet, édité avec « Privilège du Roi », il devait être soumis à la royale censure qui relevait du très catholique Louis XIII, qui faisait front aux Protestants. Or, la Rose-Croix était réputée allemande et donc luthérienne. C’était là un motif suffisant de vindicte auquel il est possible d’ajouter sans mal, le fait qu’il s’agissait d’une confrérie philosophique secrète.
L’article nous apprend que c’est au cours du printemps 1623 que commencent à circuler de mains en mains des billets manuscrits rosicruciens. Ces documents franchissent une nouvelle étape lorsqu’ils viennent à être affichés ostensiblement dans les carrefours de la capitale afin de retenir l’attention des Parisiens en ces termes :
« Nous, députés du collège principal des frères de la Rose-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville par la grâce du Très-Haut, vers lequel se tournent les coeurs des justes. Nous montrons et enseignons, sans livres ni marques, à parler toutes sortes de langues des pays où nous voulons être, pour tirer les hommes, nos semblables, d’erreur [et] de mort… »
Cette première manifestation publique de l’Ordre de la Rose-Croix en France suscite une vive réaction. Des pamphlets sont rédigés la même année en vue de ternir la réputation de ses membres. L’exagération des accusations proférées visent clairement à épouvanter la population afin de déclencher une nouvelle chasse aux sorcières.
Selon le Mercure François, les Rose-Croix veillent donc à demeurer aussi bien inconnus qu’invisibles. Pour cela, les frères changent fréquemment de logis, quittent les faubourgs de Saint-Germain pour s’installer dans le quartier des Marais du Temple. C’est au coeur de ce dernier que les membres de la Fraternité communiquent une seconde fois à l’attention du public, selon le même procédé. Des billets manuscrits se répandent, jusqu’à des affi chages bien visibles :
« S’il prend envie à quelqu’un de nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais avec nous ; mais si la volonté le porte réellement et de fait de s’inscrire sur le Registre de notre Confraternité, nous qui jugeons des pensées, lui ferons voir la vérité de nos promesses ; tellement, que nous ne mettons point le lieu de notre demeure, puisque les pensées jointes à la volonté réelle du Lecteur, seront capables de nous faire connaître à lui et lui à nous. »
Cette présence rosicrucienne va agiter Paris pendant près d’un an. Des auteurs précisent que cette diffusion aurait commencé au mois de février pour ne prendre fin qu’au mois de juillet. Le Père Garasse ou encore Gabriel Naudé, bibliothécaire de Mazarin, fustigent les Rose-Croix et se répandent au moyen d’ouvrages peu scrupuleux. Seul le philosophe René Descartes qui vient de rentrer dans la capitale, tient un discours ambigu ; il ne les supporte, ni ne les condamne. D’aucuns diront qu’il était membre de la Fraternité lui-même, lui prêtant même d’avoir été à l’origine de ces affiches manuscrites.
Pour conclure, le Mercure François, bien qu’hostile à la Fraternité comme nous l’avons vu, a contribué malgré lui à faire connaître les Rose-Croix, en fixant la mémoire de cet épisode particulier du XVIIe siècle parisien. On notera d’ailleurs avec intérêt que le texte de ces affiches, suite aux nombreuses investigations menées jusqu’à aujourd’hui à leur sujet, n’ont révélé aucune variante. L’affiche, telle que reconstituée par l’A.M.O.R.C. aujourd’hui, reproduit donc fidèlement les textes d’origine.