Des conditions requises pour être alchimiste (1902)

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Le succès du roman de J. K. Rowling, « Harry Potter à l’école des Sorciers », et son adaptation au cinéma, a sans doute contribué à renouveler la curiosité du grand public pour l’alchimie. L’intrigue repose en effet sur l’un des plus célèbres alchimistes français du XVe siècle, Nicolas Flamel, et sur la Pierre Philosophale, dont on apprend dans l’histoire par le directeur du collège de Poudlard, Albus Dumbledore, « qu’elle donnait autant d’argent et permettait de vivre aussi longtemps qu’on le souhaitait ».

Cependant, pour les alchimistes authentiques et peut-être plus particulièrement pour les Rose-Croix, l’alchimie constitue surtout une science et une philosophie de la nature, ainsi qu’une technique qui permet de révéler la nature spirituelle et divine de l’être humain. C’est donc pour vous faire découvrir ces aspects trop souvent négligés que nous avons choisi d’extraire ce texte de nos archives, intitulé « Des conditions requises pour être alchimiste ».

Rédigé par François Jollivet-Castelot (lui-même alchimiste et Rosicrucien) pour la revue Rosa Alchemica, revue officielle de la Société Alchimique de France, il rappelle que les alchimistes furent avant tout des libres penseurs, des religieux adogmatiques, et rappelle que bon nombre d’entre eux pratiquaient en réalité l’alchimie spirituelle.

« Des conditions requises pour être alchimiste » | François Jollivet-Castelot, Revue Rosa Alchemica,
8e année, janvier 1903

 « Les hermétistes envisageaient la Science avec le plus profond et le plus noble respect. Ils s’en faisaient un Idéal admirable. A leurs yeux, la Nature vivante recélait l’Esprit de Dieu ; les minéraux possédaient une existence propre, il fallait les manipuler avec un sentiment de délicatesse, je dirais même, de politesse, dut-on sourire de cette expression qui peint l’attitude du savant d’autrefois envers les manifestations de l’Hylozoïsme planétaire[1]. Leurs laboratoires étaient des temples où l’étude consciencieuse s’alliait à la prière entendue dans le sens d’oraison intellectuelle autant que morale.

Sous l’influence des hautes idées de la Kabbale, capables d’engendrer une religion vaste comme l’Univers et toujours opposée au dogmatisme, étroit parce qu’elle s’unissait, se confondait avec la rationnelle recherche, les alchimistes croyaient à une magnifique correspondance entre les mystères divins et ceux du Monde, entre le Microcosme et le Macrocosme qui s’expliquaient réciproquement. Il est difficile aujourd’hui, à la plupart des esprits, de rendre un compte exact de la puissance religieuse, aussi libérale que féconde, des types vraiment élevés des premiers siècles de notre ère et du Moyen-Age ténébreux. J’ose assurer que ces rares hommes de génie étaient des libres penseurs d’une autre envergure que beaucoup de notre siècle ; et que d’autre part les sectes confessionnelles possédaient des intelligences d’élite, infiniment moins bornées quant aux préceptes dogmatiques que l’on n’en rencontre à cette heure au sein des cultes qui divisent l’humanité. […]

L’Artiste[2], enseigne Geber[3], doit être savant en Philosophie Naturelle, studieux, calme, persévérant. Il faut qu’il ait l’esprit vif, industrieux, le caractère ferme et résolu dans ses entreprises. Jamais il ne doit abandonner son ouvrage jusqu’à l’achèvement entier; il contrôlera les principes matériels dont il aura à se servir afin d’éviter les erreurs, les dépenses inutiles. Du reste ces frais sont minimes si l’on emploie les matériaux convenables. Enfin et surtout, l’adepte évitera les sophistications malhonnêtes, les tromperies, indignes de l’alchimiste sincère. Car l’Art dépend de Dieu seul qui le donne et qui l’ôte à qui lui plaît.

Sous le nom de Vie privée des Alchimistes, Albert-le-Grand; au traité De Alchimiâ, énumère les diverses conditions que l’alchimiste doit remplir pour atteindre le Grand-Œuvre : L’Alchimiste sera discret et silencieux ; il ne révélera à personne le résultat de ses opérations. Il habitera loin des hommes, une maison particulière dans laquelle il y ait deux ou trois pièces exclusivement destinées à ses opérations. Il choisira le temps et les heures de son travail de façon à éviter la dispersion vaine d’efforts passagère, à se créer une méthode régulière. Il sera assidu et persévérant. Il exécutera, d’après les règles de l’Art, la trituration, la sublimation, la fixation, la calcination, la solution, la distillation et la coagulation ; c’est-à-dire qu’il se conformera aux principes essentiels de la Science.

Nicolas Flamel, Bernard le Trévisan, Denis Zachaire, Basile Valentin, proclament à différents endroits de leurs traités, la nécessité pour l’hermétiste, de cultiver l’alchimie morale et philosophique en même temps que l’alchimie minérale. Les fables dont leurs livres sont remplies, leurs allégories générales s’appliquent aussi bien à l’évolution psychique qu’elles s’adaptent à la genèse des métaux; à la transmutation de l’être par la Volonté, l’amour, l’énergie changeant tout en Or spirituel, comme à la fusion du soufre, du mercure et du sel d’où naîtra le ferment de l’Or physique. »

[1] L’Hylozoïsme est une doctrine considérant que la matière est intrinsèquement douée de vie, de par l’action de l’âme universelle.

[2] Les alchimistes étaient connus sous plusieurs appellations, dont « Philosophes » ou « Artistes »,

[3] De son vrai nom Abu Musa Jabir ibn Hayyan, Alchimiste arabe (721-813). à qui l’on doit un nombre important de manuscrits sur la transmutation des métaux