Bacon de Verulam et son masque d’Initié

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 Bacon de Verulam et son masque d’Initié,  par Jean-Henri Probst-Biraben
Extrait d’article tiré de la revue « L’Astrosophie »,Vol XVII, n°1, juillet 1937.

« Si l’on peut considérer l’Instauratio Magna, ou le De Digniate et Augmentis Scientiarum comme des livres de chevet du savant positif, on doit porter attention à la part de Mystère, d’enseignement secret même, qu’ils renferment. Bien plus, ils témoignent, comme toute I’ œuvre de Bacon, que ce dernier en pleins XVIe et XVIIe siècles, était imprégné des directives que lui donnèrent des initiateurs inconnus. Initié peut-être incomplet, exprimant ce qu’il a compris de la tradition en termes tantôt clairs, tantôt intentionnellement voilés

Il faut se persuader, quand on les lit et qu’on ne comprend pas, qu’il y a des passages dans la nouvelle Atlantide, comme dans les œuvres des philosophes et des savants du Moyen âge et de la Renaissance, dont certains sont rédigés pour tous les lecteurs, « en clair », et d’autres destinés aux initiés et écrits en langage fermé, incompréhensible à qui n’en possède pas la clef. Ils sont allégoriques et symboliques. Nous ne prétendons pas vous dévoiler le détail des pages symboliques de Bacon de Verulam, mais vous montrer par quelques exemples la part d’occulte, de mystérieux, d’ésotérique qu’elles renferment. […]

L’expression célèbre de lord Bacon, il faut « faire passer la lampe à la postérité », indique déjà la transmission initiatique qu’il avait reçue et le devoir d’initié qu’il avait de montrer la voie à ses frères, comme on la lui avait ouverte à lui-même. Si précisément Joseph de Maistre, pourtant informé des enseignements secrets, trouve des banalités ou des obscurités dans les livres du chancelier, c’est qu’il n’en possédait pas la clef.

Quand il fait allusion, dans le De Augmentis, à certains livres anciens de la bibliothèque de Saint-Victor, dont maître François Rabelais a dressé le catalogue, il insinue que son œuvre lui est peut-être empruntée, n’affirme-t-il pas ainsi qu’il appartient au même courant ésotérique et occulte que l’auteur de Pantagruel ? « Car, ajoute-t-il, il s’y trouve un volume intitulé : la Fourmilière des Arts. » Or, la méthode Baconienne a la prétention d’être un « Art », adapté à ses conceptions scientifiques, une Ars Magna, non plus déductive surtout, comme celle de Raymond Lulle, mais inductive. C’est l’Art tout de même, et le symbole de « la Fourmilière » dénote son dessein d’en cacher sous terre, c’est-à-dire sous une cryptographie ou un voile, certaines parties destinées à une élite d’initiés.

Peut-être même, le terme de Fourmilière est-il un rappel des sanctuaires souterrains, où certains chercheurs affiliés à des Fraternités Secrètes se réunissaient, pour s’entretenir de Haute Science ?

De Dante à Bacon, en passant par Jean de Meung, et à Rabelais, il y a une continuité, une chaîne d’hommes choisis, qui font passer la lampe, et s’expriment en jargon, parce qu’il était dangereux de professer clairement des opinions, sans doute très anciennes dans leur milieu, mais très avancées pour les gens du dehors. Ils emploient tous un langage allégorique, ou des images comprises d’eux, qui déroutent le profane. Celui-ci les considère comme des excentricités des grands hommes, ou comme des faiblesses de leur esprit.

Dans la Nouvelle Atlantide ou Nova Atlantis, Bacon parle d’un messager qui apporte un rouleau de parchemin contenant les ordres d’un chef de la terre où ses compagnons veulent aborder. Le héraut porte à la main un bâton teint de bleu aux deux extrémités. Le parchemin est scellé de deux ailes de chérubin baissées, surmontées d’une croix. Lui et ses compagnons, offrent des ducats aux serviteurs, et une pièce de velours cramoisi au messager. Ce personnage repart vers le rivage avec ses sept subordonnés, porter la réponse et l’acceptation des conditions atlantes des navigateurs anglais.

Trois heures après, un personnage vêtu de bleu s’avance vers leur vaisseau dans une barque dorée, accompagné de quatre personnes (1 + 4 = 5). Sur sa demande, un canot anglais monté par le lieutenant et quatre matelots s’avance à sa rencontre.  Le personnage quand ils furent à portée de pistolet, leur demanda s’ils étaient chrétiens. Sur leur affirmation, il fait un signe levant la main et la portant à sa bouche leur fait prêter serment de loyauté avant de les autoriser à descendre à terre.

Quand le lendemain les voyageurs furent autorisés à débarquer, on les conduisit dans un hospice destiné aux étrangers. Un officier et six habitants leur servaient de guide. Ils durent passer par trois rues, monter des marches. On mit dix-neuf salles à leur disposition.

Nous n’insistons pas sur d’autres détails. Bacon note dix-sept cellules dans l’hospice en un endroit, et quarante plus loin. Dix réservées ne lui sont pas montrées. Il dit que le notable guide fait des gestes avec sa canne, quand il donne des ordres, qu’il leur laissa six hommes pour les servir et les consigna trois jours au repos avant de les laisser libres dans le pays. Ils ont trois boissons à goûter à leurs repas. Ces couleurs. Ces nombres, les signes, les gestes solennels, le serment, ne paraissent pas mentionnés dans la Nova Atlantis au hasard. Tout cela doit renfermer des sens symboliques à l’usage d’adeptes.

Quand Bacon et ses compagnons veulent faire présent à leur aimable guide de vingt pièces d’or, il remercie de la manière suivante : « Non, je vous remercie, il ne serait pas juste que je fusse payé deux fois. » Cette dernière expression ne peut pas signifier que l’officier est suffisamment rémunéré par sa solde. Les critiques profanes verraient là une banalité, quand il est très probable que la phrase : « recevoir un double salaire » répond à une intention, rappelle quelque chose de particulier à une fraternité secrète. Que l’on songe au compagnon du devoir, qui, lorsqu’il passe d’un degré d’initiation à un autre, « augmente de salaire ».

Pourquoi Bacon dit-il à ses compatriotes, après les avoir rassemblés : « Frères et amis, tâchons de réfléchir un peu sur nous-mêmes » ? Aligheri prononce aussi ce mot de Frère et il était affilié aux Fideli d’Amore et à la Santa Fade. Puisque la croix figure sur le sceau du parchemin, et qu’on demande aux étrangers s’ils sont chrétiens, le livre de l’Atlantis ne cacherait il pas les enseignements d’une société dérivée du rosicrucisme ? Certains Atlantes portent une croix rouge à leur turban. Dans le même passage, il s’écrie : « Nous sommes encore entre la Vie et la Mort, car nous sommes à une distance prodigieuse, soit de l’Ancien Monde soit du Nouveau. » Ce langage, à notre sens, est tout à fait celui des initiés, quand ils parlent des degrés intermédiaires entre l’état de profane et celui d’éclairé, ceux qui précèdent la Réintégration. […]

Il y a un Bacon clair et un Bacon masqué, et ce dernier n’est pas moins intéressant que le premier. »